30 juin 2022, un autre jeudi noir pour la RD Congo

Article : 30 juin 2022, un autre jeudi noir pour la RD Congo
Crédit: Alexandre Mulongo
6 juillet 2022

30 juin 2022, un autre jeudi noir pour la RD Congo

Le jeudi 30 juin 1960, la République démocratique du Congo accédait à la souveraineté nationale. Le colonisateur belge retiendra l’intervention de Patrice Emery Lubumba, auteur d’un discours improvisé qui avait bousculé le protocole. Le premier Premier ministre congolais et héros national en paiera le prix fort par son assassinat six mois après la cérémonie du Palais de la Nation. Soixante-deux ans plus tard, les Congolais se sentent trahis par une classe politique indigne d’un pays promis à un avenir radieux.

Homme couvert du drapeau congolais. Crédit photo : Alexandre Mulongo

Le combat incompris de Lumumba

C’est sans conteste que tout le monde parle des richesses de la République démocratique du Congo. Ses ressources naturelles font la fierté et surtout le malheur de ses populations. Au sortir de la période coloniale, des minuteries dans l’armée et les sécessions des provinces du Katanga et du sud-Kasaï mettent le jeune Etat indépendant à feu et à sang. Dans un monde bipolaire où Américains et Russes étendent leur influence, la RD Congo se retrouve dans la délicate situation de réservoir des minerais stratégiques.

Patrice Emery Lubumba à qui l’on reproche parfois une demande hâtive de l’indépendance fait appel aux forces des Nations-Unies. Cette démarche motivée par le simple souci de réunifier le pays déchiré par des conflits divers met à mal son image. Les ennemis externes se servent des ambitieux complices congolais et finissent par l’éliminer physiquement. En 1966 le bourreau de Lumumba, le dictateur Mobutu, l’élève au rang de héros national.

Parfois incompris des générations actuelles, Lumumba aborde dans une interview la question d’une indépendance progressive. On retrouve à peu près les éléments fondamentaux du plan de trente ans proposé par l’universitaire belge Jef Van Bilsen. Dans une interview de Roger Louis, le journaliste français explique que l’indépendance vite donnée par la Belgique a été conçue comme un piège. Le chaos post-colonial profite à la puissance coloniale qui maintient son influence dans les affaires congolaises.

Panafricaniste et anticolonialiste, Lumumba savait que l’indépendance était un processus qui implique une bonne préparation. Il est souvent présenté comme un leader africain réclamant coûte que coûte la souveraineté de son pays dans une idée d’autarcie. Cette image écornée est une déformation de la réalité qui conduit les jeunes générations à remettre injustement en question l’héritage de son combat.

La RD Congo, cinq présidents et trois Républiques plus tard

Le soixante-deuxième anniversaire de l’indépendance congolaise se célèbre sous le signe de la méditation. La Belgique a restitué une dent de Patrice Emery Lumumba à la RD Congo. Cette relique du héros national reçue après la visite de Philippe roi des Belges en RD Congo serait un début d’apaisement des relations tumultueuses entre les deux pays. La RD Congo va-t-elle toujours garder une dent contre la Belgique ? La question reste entière.

Au-delà des symboles et des célébrations, le pays fait face à une nouvelle déstabilisation de sa région à l’est. Des groupes armés soutenus par ses voisins continuent d’entretenir la désolation et l’instabilité. L’argument reste le même : la RD Congo est un refuge pour les rebelles ougandais et rwandais. Toutes les options pour ramener la paix ne garantissent pas un meilleur dénouement de la situation. La diplomatie chancelle et les opérations militaires révèlent une désorganisation de l’armée nationale sur le théâtre des opérations.

Pendant que les conflits armés récurrents fragilisent une partie du pays, la RD Congo peine à résoudre les problèmes internes qui jalonnent son histoire.

De Kasavubu à Mobutu

Au bout de cinq années d’instabilité politique, la deuxième République succède à la première. Le dictateur Mobutu s’empare du pouvoir après un coup d’état qui évince le président Kasavubu. Les années soixante-dix voient se consolider son pouvoir, il nomme le pays « Zaïre ». Par un sentiment de décolonisation inachevée, Mobutu lance la zaïrianisation. Cette politique de nationalisation s’applique dans tous les secteurs de la vie nationale. Son échec conduit le pays dans une crise économique. Le régime se durcit et les crises s’enchainent à grande vitesse. Il se caractérise par le monopartisme, la répression des opposants, les massacres, les pillages, la corruption, la destruction du tissu économique et la désagrégation du tissu social.

Les bouleversements géopolitiques et la fin de la guerre froide affaiblissent le pouvoir autoritaire de Mobutu. Il se sent obligé d’accepter le multipartisme. Président d’un régime épuisé, en 1997 il se voit chassé de son trône par une rébellion soutenue directement par le Rwanda et l’Ouganda. La même année, il mourra en exil au Maroc après trente-deux ans de règne sans partage. Son image est souvent évoquée pour l’unité nationale et la puissance de l’armée.

La dynastie Kabila : de père en fils

Laurent Désiré Kabila est à la tête des nouveaux conquérants réunis au sein de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo). La célébration sera de courte durée pour le nouvel homme fort investi président. Un désaccord avec les alliés rwandais et ougandais relance la guerre le 2 août 1998 par l’entremise des nouvelles rebellions. L’ancien maquisard a des relations tendues avec les occidentaux qui ne jurent que par sa perte. Les armées angolaises, zimbabwéennes et namibiennes secourent une armée congolaise issue de la rébellion et peu structurée. Assassiné le 16 janvier 2001, sa mort éclipse les espoirs de changement visible dans le quotidien des congolais. Les mystères qui entourent son assassinat n’ont jamais été élucidés.

Son fils, le jeune général major Joseph Kabila, lui succède à l’âge de 29 ans. Il hérite d’un pays déchiré par la guerre et mis au ban des nations. Il négocie avec les rebelles et permet au pays de retrouver son unité. Le jeune président se débarrasse de l’entourage de son père et imprime sa propre marque. Ses dix-huit ans de règne voient naître la troisième République congolaise. Plusieurs avancées sur le plan économique, législatif et social sont à son actif : la répression, la corruption, la prédation, le détournement et les rebellions caractérisent également sa période de transition et ses deux mandats.

Malgré une parenté à Laurent Désiré Kabila contestée, le silence énigmatique de Joseph Kabila continue à créer un mystère autour de sa personne.

Félix Tshisekedi, loin du rêve de son père

Félix Antoine Tshisekedi devient le cinquième président de la RD Congo à l’issue de l’élection organisée avec deux ans de retard. La victoire du fils d’Etienne Tshisekedi, l’éternel opposant à Mobutu et aux Kabila, souffre des contestations sévères. L’alliance de Félix Tshisekedi et Kabila que tout opposait pousse à penser à une collusion. La lune de miel tourne court quand le couple formé des deux camps politiques éclate. La rupture bascule Joseph Kabila dans l’opposition et de très nombreux membres de sa plateforme politique migrent vers celle de Tshisekedi. « Le peuple d’abord » et « l’Etat de droit » deviennent vite des slogans creux pour les Congolais. Les trente-sept ans d’opposition à trois régimes politiques se soldent pas une gestion calamiteuse du pouvoir.

Affiche de Félix Tshisekedi. Crédit photo : Alexandre Mulongo

La corruption et le détournement des fonds caractérise le pouvoir. La répression est de retour avec force. On reproche au président de concentrer le pouvoir sur son ethnie. Les projets de développement n’aboutissent pas et les vieux démons des régimes passés se manifestent. L’amitié avec les pays voisins ennemis ne sont pas du goût des Congolais. Les concessions économiques n’apportent pas de solution aux conflits dont les profits sont supérieurs. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, la situation de la RD Congo ressemble à un éternel recommencement. 

L’inefficacité des Nations-Unies dans la résolution des conflits en RD Congo a provoqué une perte de confiance de la part des populations. Elles y voient parfois une duplicité pour une déstabilisation qui aboutirait à la balkanisation du pays. ONUC (1960-1964), MONUC (1999-2010) et MONUSCO (2010- ) sont les missions des Nations-Unies en RD Congo dont les durées mises ensemble portent la présence des opérations à vingt-six ans. Les deux cinquièmes de l’âge du Congo libre sont vécus sous mandat des missions des Nations-Unies, preuve d’une instabilité chronique. 

Soixante-deux ans après l’indépendance de leur pays, les Congolais s’efforcent à garder espoir pour vivre. En manque de repère, « c’était assez mieux avant » est devenu un hymne au désespoir qui pousse à encenser les anciens bourreaux et dictateurs. 

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