Haut-Katanga : la petite revanche du manioc sur le maïs

Article : Haut-Katanga : la petite revanche du manioc sur le maïs
Crédit: Alexandre Mulongo
9 juillet 2022

Haut-Katanga : la petite revanche du manioc sur le maïs

Le maïs est le principal élément de l’alimentation des habitants de la province du Haut-Katanga. La farine de maïs se prépare en pâte assez molle appelée Bukari et se mange accompagnée de légumes, de poisson ou de viande. Ce plat de résistance est présent sur toutes les tables à Lubumbashi. Comment le manioc a-t-il fait son retour dans les habitudes alimentaires de la région ?

Un changement forcé

Au début du siècle passé, la colonisation belge avait fait de la région du Katanga une zone particulière. L’organisation parastatale Comité Spécial du Katanga (CSK) avait eu les droits de gérer les terres katangaises comme une entreprise. L’exploitation des minerais par l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK) demandait une importante main d’œuvre. Les recrutements sont partis des autres provinces de la colonie belge jusqu’aux colonies britanniques de l’Afrique australe.

Pour une meilleure intégration de ces nouveaux employés, Robert William, alors actionnaire majeur de l’entreprise coloniale, oblige la culture du maïs au détriment du manioc. Les populations se mettent à cultiver la céréale pour nourrir la main d’œuvre venue de la Rhodésie du Nord et du Sud, du Malawi. L’Union Minière du Haut-Katanga devient le premier pourvoyeur de farine de maïs à ses employés.

Farine de manioc. Crédit photo : Fabrice Mununga

Après l’indépendance du pays, une petite industrie agricole nait au sein de la Gécamines, entreprise minière d’Etat héritière de l’UMHK. Cette unité de production portant le nom de Gécamines Développement s’occupe des plantations de maïs et du conditionnement de la farine dans des sacs de cinquante kilos. Malgré les efforts des agriculteurs katangais, le maïs reste un produit d’importation tant la demande est supérieure à la production locale.

Dans les années quatre-vingt-dix, au plus fort de la crise économique, la seule ration alimentaire distribuée aux employés, en plus du salaire inespéré, était des sacs de farine de maïs. Les familles ne pouvaient s’en passer. Plusieurs fois les centres urbains sont passés à côté des émeutes de la faim. Parfois la rareté de la farine importée de la Zambie voisine a donné lieu à l’accaparation de la matière par des hommes d’affaires et politiques. Les populations en sont arrivées à consommer de la farine brune frelatée appelée « Le Vimba ». Ce nom fait référence à sa levée lors de la cuisson du Bukari.

Depuis quelques années, malgré la suprématie de la farine de maïs qui s’impose toujours dans les assiettes katangaises, la farine de manioc gagne petit à petit du terrain.

Un retour spectaculaire

La politique de Robert William n’a pas totalement éclipsé la culture du manioc. Sa consommation a persisté comme amuse-bouches ou casse-croûtes. Des bâtons de manioc grillés, frits ou cuits à l’ébullition font la recette de certains vendeurs ambulants. Ses feuilles constituent un légume apprécié par les populations au point d’en cultiver sur de grandes étendues.

Pourtant ce sont d’autres raisons qui garantissent le retour spectaculaire du manioc dans la préparation du Bukari. On la mélange à la farine de maïs qui, seule dans la préparation, donne une pate plus lourde et cassante dans la main. L’élasticité de la pâte de manioc parait plus malléable. D’autres consommateurs la préfèrent pour son côté diététique, sa pauvreté en nutriment serait bénéfique pour un régime amaigrissant.

Son grand retour est également l’objet d’une décision politique. S’inspirant de certains pays africains, le gouvernement congolais a permis aux boulangers et pâtissiers de mélanger 5 à 10 % de farine de manioc au froment dans la préparation du pain et des pâtisseries. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait envoler les cours du blé, une conséquence qui mettrait à mal l’industrie de la panification.

Une comptine à la gloire du Bukari

Le maïs reste encore l’élément principal de l’alimentation des populations du Haut-Katanga. Il entre dans la composition de ses bières traditionnelles et industrielles. La place qu’elle occupe dans la culture populaire de cette province est loin d’être perdue. Une vieille comptine à la gloire du Bukari célèbre le maïs et le manioc qui entrent dans sa composition. Que l’on soit plus maïs ou manioc, on ne peut que pousser la chansonnette :

« Avec le maïs on fera la farine, maïs ou manioc donne le bukari. C’est le bukari qu’on mange en famille, qui nous fait grandir nous les Congolais eh ! Buka, buka, bu-ka x3 C’est le bukari ! »

Sac de farine de manioc. Crédit photo : Fabrice Mununga
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